Question d'origine :
Est-ce que la majorité des personnes-même des personnes pas vraiment admirables sur le plan moral-suivent quand même des principes moraux, ont une certaine moralité?
Réponse du Guichet
La notion de moralité est difficilement quantifiable et les réponses que nous vous avions apportées sur ce concept tendent à montrer que nous sommes avant tout des êtres "moraux".
Bonjour,
Vous nous avez déjà interrogé sur cette notion et ne voyons pas ce que nous pourrons ajouter de plus que ce que nous avions indiqué dans Y a-t-il des personnes qui n'ont aucune morale ?, La morale est-elle différente selon les personnes ? ou Est-ce que tout le monde a un code moral personnel ?
Dans cette dernière, nous reportions à l’une de nos précédentes réponses Avoir des valeurs et citions l'article de Jean Decety :
La morale est si profondément ancrée dans le tissu social qu’il semble difficile d’imaginer une société sans normes qui délimitent les frontières de ce qui est correct ou attendu de ses membres. Les observations des anthropologues indiquent que, malgré d’importantes variations culturelles et individuelles, tous les êtres humains forment des jugements moraux indépendamment de l’endroit où ils vivent et de la complexité de leurs structures relationnelles (Brown, 1991). En effet, les principes moraux sont omniprésents dans toutes les cultures et à travers l’histoire de l’humanité. Certains comportements sont considérés comme bons, justes, et dignes de récompense. D’autres sont considérés comme mauvais, injustes, et méritent condamnation. Partout dans le monde, les individus pensent qu’il est mal de nuire à autrui et bien de l’aider ;
Par ailleurs, l’article « c’était mieux avant : non, et une étude le prouve » publié sur slate montre que cette notion est difficilement quantifiable. Ainsi, il présente l’étude de deux auteurs ayant cherché
des enquêtes qui permettraient de quantifier le niveau des qualités morales à travers les époques, pour voir si cette impression était justifiée. Ils notent déjà que si l'on s'intéresse aux crimes, aux guerres, aux colonisations ou encore à l'esclavage, on trouve des indicateurs objectifs d'une amélioration générale de la façon dont les humains se côtoient sur la planète. Mais peut-être en est-il différemment de «la moralité de tous les jours», plus difficile à mesurer objectivement.
ça m'intéresse pose la question de savoir " D'où vient notre sens moral ? "
En fait, il serait ancré en nous dès la naissance. « Nous pensons que le cerveau d’un bébé est précâblé, préparé à produire des jugements moraux, tout comme il est prédisposé à apprendre un langage sans savoir parler. C’est l’hypothèse naturaliste », explique Stéphane Debove, docteur en biologie et en psychologie évolutionnaire. Des dizaines d’études ont montré que, dès le plus jeune âge, les bambins se révèlent moraux.
(…)
Lors d’une expérience de 2011, publiée dans la revue scientifique PNAS, des bébés ont assisté à des saynètes avec des marionnettes d’animaux : dans l’une, un canard essaie d’ouvrir une boîte contenant un hochet. Un éléphant arrive et l’aide, ou au contraire saute sur la boîte pour la refermer. Ce dernier joue ensuite avec une balle, qui est rattrapée par une souris. Elle la lui rend, ou bien part avec. À l’âge de 8 mois, les enfants choisissent la souris qui a aidé l’éléphant ayant soutenu le canard. Mais quand l’éléphant a bloqué le canard, 80 % d’entre eux optent pour la souris qui a gardé la balle. En somme, ils évaluent le comportement des animaux dans leur contexte : il faut aider les autres, certes, mais il est moralement acceptable de causer du tort à quelqu’un qui s’est mal comporté.(…°Le sens moral partage d’autres points communs avec les sens physiologiques, comme le goût, notamment leur caractère universel. Dans une étude de mars 2019, des anthropologues d’Oxford ont passé au crible les codes moraux de 60 sociétés du monde entier et ont trouvé sept valeurs communes : aider sa famille, sa communauté, rendre la pareille pour un service rendu, se montrer courageux, partager les ressources, respecter ses aînés et la propriété d’autrui. Évidemment il existe des variantes, et certaines traditions peuvent heurter notre sens moral. Mais, selon les naturalistes, les points communs l’emportent sur les différences.
(…)
Si nous sommes tous équipés du même sens moral, pourquoi certains agissent-ils avec égoïsme quand d’autres se dévouent corps et âme à autrui ? Les mécanismes à l’oeuvre dans le cerveau restent mystérieux. « Jonathan Haidt a identifié cinq sources d’intuition morale : la réaction à la souffrance d’autrui, à l’injustice, le respect de l’autorité, l’amour de sa communauté, le dégoût face à l’impureté. Chacune dépendrait d’un système cognitif distinct », explique Florian Cova. L’esprit moral serait une sorte d’égaliseur à cinq canaux, et tout individu opère inconsciemment un réglage sur chaque canal, d’où une palette de comportements moraux. Selon Stéphane Debove, il n’existe qu’un seul programme cognitif, un algorithme dans lequel entrent des informations et qui génère en sortie un jugement moral.
Pour en savoir plus, vous pourriez consulter Comment nous sommes devenus moraux : une histoire naturelle du bien et du mal de Nicolas Baumard.
Bien qu’anciens, nous vous suggérons aussi la lecture de deux articles, publiés dans Philosophie magazine :
Les femmes sont-elles plus morales que les hommes ?, Catherine Portevin, 2012.
Susan Neiman : “Face au mal, la majorité des gens préfère regarder ailleurs”, 2022.