Question d'origine :
Bonjour Madame/Monsieur
Que veut dire avoir des valeurs?
Comment peut-on répondre à la question quelles sont vos valeurs?
Est ce que tout le monde a vraiment des valeurs (moi inclus)?
Réponse du Guichet
Chaque individu répond et réagit à un ensemble de valeurs, héritées ou construites qui guident sa vie. Ce sont des principes partagés par la société dans laquelle il évolue qui lui indiquent ce qui est juste, désirable ou important.
Bonjour,
Nous ne savons dans quel cadre vous vous interrogez sur la notion de "valeur" : sous l'angle de la philosophie, sociologie, psychologie... ? Nous vous proposons ici quelques pistes de réflexion.
Voici tout d'abord la définition donnée aux valeurs dans ce Dictionnaire de sociologie, consultable partiellement sur Google Livres :
Les valeurs sont des idéaux collectifs qui définissent dans une société donnée les critères du désirable : ce qui est beau et laid, juste et injuste, acceptable ou inacceptable. Ces valeurs sont interdépendantes. Elles forment ce que l’on appelle des « systèmes de valeurs », elles s’organisent pour former une certaine vision du monde.
C'est au XIXe siècle qu'Emile Durkheim et Max Weber travaillent sur les représentations collectives et la culture.
Au XIXe apparaît l’usage abstrait de ce que le jugement personnel estime vrai, beau, bien… et ce jugement lui-même : d’où « échelle de valeurs », « système de valeurs ». La philosophie et la sociologie donneront rapidement aux valeurs un caractère collectif voire universel. Deux caractéristiques se dégagent de l’histoire du mot : les valeurs sont associées à des notions positives et elles sont partagées.
source : RATINAUD Pierre, LABBé Sabrina, HAMMOUD Ghida et al., « Valeurs », dans : Anne Jorro éd., Dictionnaire des concepts de la professionnalisation. Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, « Hors collection Psychologie/Pédagogie », 2022, p. 455-458
Les valeurs étant des notions collectives et partagées, chaque individu, dès lors qu'il est socialisé, partage des valeurs avec ses semblables :
Ce sont des idéaux, des préférences, des orientations d’action. Les gens agissent en fonction de valeurs qui font sens pour eux. Ils ne sont pas des pantins simplement déterminés par la société ou l’économie. Bien sûr, des conditionnements, des influences sociales jouent : la société marque chacun. Mais les individus ont des moyens de résistance, ils peuvent accepter ou refuser les valeurs que des institutions, des groupes sociaux ou des maîtres à penser proposent.
Tout le monde a donc des valeurs, des principes d’action, un sens de ce qui est bien. Mais les uns peuvent avoir une boussole très rigide, les autres très relative… Chacun peut absolutiser ses valeurs, ou au contraire les considérer avec un certain recul, y croire intensément ou modérément. Il peut aussi être tiraillé entre des valeurs contradictoires. Et chacun peut évoluer dans ses orientations de valeurs au cours de sa vie.
Les individus changent généralement plutôt lentement. Ils recomposent leur système de valeurs à la marge. Chacun a intériorisé des valeurs dans sa jeunesse, il s’est donné une hiérarchie de valeurs. Selon les expériences qu’il a vécues, il en recompose, réévalue la hiérarchie. À chaque période, les valeurs d’un individu ont une cohérence relative : ce que quelqu’un croit dans un domaine a des effets sur les autres. Il y a une certaine rationalité de l’acteur : si je suis rigide dans un domaine, je risque de l’être dans d’autres. Mais il existe aussi des logiques complexes : je peux me donner de bonnes raisons d’être libéral en économie et rigide sur le plan moral, ou l’inverse. Aujourd’hui, par exemple, beaucoup de jeunes revendiquent des libertés pour tout ce qui concerne leur vie privée : selon eux, la société n’a pas à contrôler la manière dont ils vivent. Mais en même temps, ils estiment qu’il faut de l’ordre et donc de la contrainte dans l’organisation de la vie publique.
source : Les valeurs parlons-en ! / Pierre Bréchon
Pour approfondir le sujet, nous vous invitons à lire l'ouvrage de Pascal Morchain "Psychologie sociale des valeurs" dont voici quelques lignes de la conclusion :
J’ai essayé de montrer que, vue sous l’angle de la philosophie (que je n’ai fait qu’effleurer) et sous l’angle de la psychologie sociale, toute valeur est fondamentalement sociale : même si ce sont des individus qui s’expriment, il n’y a probablement pas de valeurs strictement individuelles, et les jugements de valeur émis par un individu ont toujours un caractère social si ce n’est collectif. J’ai abordé le lien que les valeurs ont avec la morale et l’éthique et l’on a vu que, si le terme valeur prend différentes acceptions, il est un point sur lequel on s’entend : derrière la notion de valeur se trouvent celles du Bon, du Bien. Il nous est difficile d’imaginer des « valeurs négatives », du moins il nous est difficile de penser que nous pourrions porter des valeurs négatives. En revanche, nous croyons que les autres le peuvent. On a vu que, d’une manière ou d’une autre, une valeur est un idéal qui donne une direction, un sens à la vie individuelle ou collective. « Donner un sens » signifie également « donner une signification » : les valeurs donnent du sens à la vie, la recherche du sens étant probablement une des finalités de la communication humaine, comme on le voit dans le partage des émotions. J’ai essayé de montrer que les valeurs, même si on peut trouver une certaine universalité dans leur organisation, renvoient à une dynamique : elles s’inscrivent dans l’action, et leur hiérarchie fait montre de beaucoup plus de plasticité que pourrait le croire « Monsieur Toutlemonde ». On a vu qu’un grand nombre de recherches considèrent les valeurs comme orientatrices. Dans nos manières de percevoir le monde, elles sous-tendent largement les systèmes catégoriels : elles jouent au niveau de la formation et du maintien des catégories sociales, des représentations, des préjugés et des stéréotypes que nous développons. Je me suis limité au champ de la perception sociale, mais la psychologie sociale tout entière, me semble-t-il, traite des valeurs (à tout le moins, de la valeur accordée à une personne, à un objet). Par exemple, la petite phrase « les amis de mes amis sont mes amis » réfère à ce que Heider appelle une triade cognitive équilibrée, et une triade est équilibrée quand le produit des valeurs (ou des valences) des associations est positif [dans l’exemple : (1) moi et mes amis (+) ; (2) mes amis et leurs amis (+) ; (3) moi et les amis de mes amis (+) ; (+) x (+) x (+) = (+)]. Dans le présent ouvrage, on a vu que les valeurs peuvent influencer les personnes dans leurs perceptions d’autrui, sans qu’elles en soient particulièrement conscientes, et que leurs jugements peuvent être différents quand elles ont conscience des valeurs. Cette question d’un impact différent des valeurs selon que les personnes en sont conscientes ou non reste très largement à creuser. En même temps, si les valeurs orientent les attitudes, les opinions, voire les intentions d’agir, on a vu qu’il est moins sûr qu’elles influencent directement les comportements : elles sont un des nombreux facteurs de contexte pouvant amener des personnes à agir. On a vu aussi que tant les philosophes que les psychologues leur reconnaissent une fonction justificatrice. Le plus étonnant peut-être est le fait que les valeurs permettent de justifier des prises de position même quand elles n’y sont pas reliées, et que les valeurs privilégiées par les personnes ne sont pas nécessairement celles qu’elles vont utiliser pour justifier leurs jugements. À l’extrême limite, je ne suis pas loin de penser que les valeurs n’interviennent le plus souvent qu’a posteriori, à titre de légitimation.
Quelques documents pour aller plus loin :
- Valeurs, philosophie / Universalis
- Valeurs, sociologie / Universalis
- SCHWARTZ Shalom H, « Les valeurs de base de la personne : théorie, mesures et applications », Revue française de sociologie, 2006/4 (Vol. 47), p. 929-968.
Quelques cours sur la socialisation :
- Les processus de la socialisation et la construction des identités sociales / kartable
- Qu'est-ce que la socialisation ?
- La socialisation / Cédric Passard
- La socialisation / Muriel Darmon ; sous la direction de François de Singly
Quelques ouvrages :
- Des valeurs : une approche sociologique / Nathalie Heinich
- Les valeurs des Français : évolutions de 1980 à 2000 / dir. Pierre Bréchon
- Les valeurs des Français / sous la dir. de Hélène Riffault
- De la valeur à la norme : introduction à la sociologie / Olgierd Kuty, Christophe Dubois
- Education et valeurs : approches plurielles : Descartes et Kant, Alain et Pestalozzi, Durheim et Weber, Freud et Piaget / sous la dir. de Constantin Xypas
- Psychologie des valeurs / Christine Chataigné
- La philosophie des valeurs / Jean-Paul Resweber
Bonne journée.