Quel organisme contrôlait les poids monétaires à Lyon ?
Question d'origine :
Bonjour,
Certains "poids monétaires" porte le poinçon de contrôle à la "fleur de lys" avec la lettre D identifiant Lyon.
Quel est l'organisme qui contrôlait ces poids ? A quelle époque ?
Merci de votre aide,
Cordialement
Robert B.
Réponse du Guichet
Le poids monétaire que vous nous soumettez porte la "marque distinctive de l'atelier monétaire de Lyon de 1540 à 1858". A partir du XIVe siècle, l'organe d'Etat qui contrôlait le pesage des monnaies était la Cour ou la Chambre des monnaies.
Bonjour,
Nous pouvons situer l'époque du poids monétaire que vous nous soumettez grâce au livre Le pesage monétaire : boites, poids, balances et pèse-monnaies en France / Bernard Garault. Celui-ci nous indique p. 22 que "D est la marque distinctive de l'atelier monétaire de Lyon de 1540 à 1858" et que "la fleur de lys est le poinçon officiel de la Cour des Monnaies que l'on retrouve dans les ordonnances en 1541, 1562 et 1668." L'auteur précise également qu'"Adolphe Dieudonné, dans son Manuel des poids monétaires paru en 1925, fait débuter la pratique de vérifier la masse des monnaies d'or et d'argent au XIVe siècle.
Quant à l'organe de contrôle, le document Petite histoire de poids et de balances... produit par iNumis, indique qu'en 1343 :
Philippe de Valois interdit expressément à tout particulier de peser aucune des monnaies en circulation, sous peines corporelles et pécunières, et défendit même la fabrication et la détention de balances. A une époque où la valeur des monnaies était (théoriquement) intrinsèque, ces prohibitions avaient l’inconvénient de ne laisser aux honnêtes usagers que la possibilité d’un examen visuel pour reconnaître les pièces rognées ou altérées ; elles ne furent probablement pas respectées (longtemps) puisque dès la fin du XIVe siècle, de multiples textes recommandèrent (voire ordonnèrent) aux usagers de peser les pièces qu’ils manipulaient.
La partie intitulée Le contrôle de l'Etat mentionne que la fabrication de la monnaie était vérifiée par les ateliers monétaires. "Le pesage et l’ajustage éventuel du poids des flans avant la frappe était la prérogative des ouvriers ajusteurs (et parfois des tailleresses)". On y apprend que ces ouvriers et ouvrières travaillaient dans les Hôtels des Monnoyes et que ce sont les Juges-Gardes et le Maître de la Monnoye qui en étaient garants. Les outils de pesage devaient eux aussi être validés par les Maîtres Balanciers, placés sous l’autorité de la Cour des monnaies :
La vérification du poids des monnaies et plus généralement l’exactitude des divers outils de pesage, étaient une préoccupation constante et sans cesse renouvelée du pouvoir royal. En premier lieu il fallait contrôler la fabrication de la monnaie : dans les ateliers monétaires français jusqu’au XIXe siècle, on pesait le métal à son arrivée, avant et après sa fonte, avant, pendant et après la fabrication des espèces et avant la délivrance au public, ceci afin d’éviter toute perte volontaire ou involontaire de métal précieux, vérifier que le poids des monnaies émises correspondait bien aux prescriptions des ordonnances royales afin que le public ne s’en détourne pas au profit de monnaies étrangères et, évidemment, minimiser les pertes pour l’autorité royale. Le pesage et l’ajustage éventuel du poids des flans avant la frappe était la prérogative des ouvriers ajusteurs (et parfois des tailleresses) des ateliers monétaires et l’Abbé Migne nous décrit assez bien ce qu’était ce travail : « Celui qui faisait cet ajustage ou approche était assis sur un siège plus haut que les sièges ordinaires. Il avait devant lui une petite table carrée sur laquelle était posée une lanterne, dans cette lanterne étaient suspendues en l’air à une guindole de petites balances fines, garnies de leurs bassins : dans le bassin qui répondait à sa main droite, et soutenu de la planchette de la guindole, était un dénéral juste, du poids du carreau qu’il voulait ajuster. » En effet, au stade de la fabrication, la vérification du poids des monnaies se faisait grâce à des poids monétaires particuliers appelés dénéraux selon les usages anciens/des poids étalons tels les lots 986 à 989. On a fini par appliquer parfois le mot de dénéral à tous les poids monétaires mais c’est une généralisation abusive puisque le dénéral était bien l’outil de pesage des institutionnels et des fabricants de la monnaie. Savary des Bruslons, dans son Dictionnaire universel de commerce, indique que ces dénéraux sont « les poids dont les ouvriers et les tailleresses qui travaillent dans les Hôtels des Monnoyes, sont obligés de se servir, pour ajuster les flaons, ou flans, qui doivent être monnoyés, et les réduire aux poids des diverses espèces qui leur sont ordonnées. C’est aussi à ces dénéraux que les Juges-Gardes doivent peser les espèces qu’on leur rapporte au sortir du balancier où elles ont été frappées, avant que d’en faire la délivrance au Maître de la Monnoye, pour les exposer au public. Ces dénéraux sont étalonnés sur le fort de l’espèce, en sorte que le trébuchant y soit compris. »
Avant l’instauration du Système métrique décimal (1795), on utilisait deux dénéraux pour la fabrication des monnaies : un dénéral ajusté sur le poids minimal de tolérance (poids faible) et un ajusté sur le poids de taille (poids juste, souvent appelé poids fort). Après son introduction, on se mit à en utiliser trois : un dénéral juste (au poids légal de la monnaie), un faible et un fort, étalonnés sur les limites inférieure et supérieure de la tolérance légale prévue pour cette pièce. En France, tout outil de pesage, quelle qu’en fut son utilisation, devait être validé par l’autorité émettrice et depuis 1541 (et au moins jusqu’à la fin du XVIIIe siècle), les Maîtres Balanciers étaient les seuls autorisés à fabriquer ces outils. Ils étaient placés sous l’autorité de la Cour des monnaies, devaient y déposer les statuts de leur corps de métier, les listes des maîtres de ces corps ainsi que leur marque de maître (poinçon-signature), garantie de l’exactitude des balances et poids une fois apposée. Cependant, comme souvent, la règlementation était en général contournée voire ignorée et assez peu de poids monétaires portent aujourd’hui les marques théoriquement obligatoires. Ceux-ci n’étaient parfois même pas correctement étalonnés, pour preuve cet extrait d’un registre de la Cour des monnaies (sous-série Z1b des Archives nationales) contenant notamment des requêtes de particuliers relevant des poids et balances du royaume : ainsi en 1650 un certain Jacques Platel, maître orfèvre de Beauvais, signale à la Cour qu’il se commet plusieurs abus et malversations dans cette ville et environs, au sujet des poids à peser et des balances à trébuchet, étant donné qu’il n’y a personne pour les étalonner et donc y apposer la fleur de lys couronnée, gage de vérification par l’autorité royale.
Dans son ouvrage de 1879, Recueil de documents relatifs à l'histoire des monnaies frappées par les rois de France depuis Philippe II jusqu'à François 1er. T. 01 [Livre : 1179-1380, consultable sur Numélyo et Gallica, Félicien de Saulcy décrit les fonctions des officiers de ces ateliers :
Chaque atelier monétaire comportait un maître particulier, deux gardes, un contre-garde, un essayeur, et un graveur, appelé tailleur des fers.
...
Le maître particulier, nommé le plus souvent aux enchères et "à la chandelle" (c'est ainsi qu'on désignait les adjudications à l'extinction des feux), était chargé de la direction de l'atelier, dont toutes les dépenses matérielles restaient à sa charge. Dans le bail plus ou moins long qui lui était octroyé, il devait fixer son "faifort", c'est-à-dire le nombre de marcs d'or qu'il devait monnayer dans chaque année de son bail, aussi bien que celui des marcs d’"œuvre" ; ce dernier nom désignait les les monnaies blanches et noires, c'est-à-dire d'argent et de billon.
...
Le maître particulier dans son bail s'engageait à faire frapper les monnaies qu'il était chargé de fabriquer, à des prix fixés pour l'or, pour le blanc et pour le noir.
Les manœuvres sous sa direction étaient les ouvriers et les "monnoyers". Les premiers, aidés souvent d'ouvrières nommées "tailleresses", préparaient les "flans", qui étaient étalonnés avec soin et remis ensuite, en certaine quantité nommée "brève", aux monnayers, qui leur appliquaient, au marteau, l'empreinte réglementaire, à l'aide de coins de fer nommés "pile" et "trousseau". Les ouvriers et les monnayers recevaient une solde fixée, pour la fabrication de l'or, du blanc et du noir et cette solde était prise sur le bénéfice appartenant au souverain, et qui se nommait "seigneuriage".
Les alliages étaient préparés par le maître particulier et sous sa responsabilité.
Les gardes étaient détenteurs des fers ou coins, dont ils devaient surveiller l'emploi et la remise en caisse, dès qu'ils avaient cessé d'être employés.
Quand une ou plusieurs brèves avaient passé sous le marteau des monnayers, on avait mis en "boîte" une des pièces frappées et prise au hasard sur un certain nombre, fixé à l'avance, de pièces semblables, soit d'or, de blanc ou de noir.
Ces boîtes étaient une sorte de tirelire, parfaitement close et scellée du sceau du maître et des gardes, laquelle, une fois arrêtée, devait être envoyée à la Chambre des monnaies de Paris, pour être jugée par les généraux maîtres. Si, par ce jugement, le titre était reconnu faible, la boîte était dite "escharce", et le maître et les gardes étaient mis à l'amende ; de même, si elle était faible de poids. Il y avait toutefois une certaine tolérance, nommée "remède", dont on tenait compte au maître particulier. Lorsqu'une brève était terminée, elle était remise aux gardes, qui y prenaient encore, au hasard, un certain nombre de pièces qu'ils soumettaient à l'essayeur. Celui-ci les analysait, et, dans une petite cédule de parchemin, constatait le titre réel et le poids des pièces fabriquées. Si les remèdes n'étaient pas dépassés, les gardes en faisaient "délivrance", c'est le terme employé, au maître particulier, qui les émettait définitivement. Celui-ci, du reste, en employait une partie à acheter le billon d'or et d'argent qui devait alimenter sa fabrication, et dont le prix du marc était fixé par des ordonnances royales.
Les gardes devaient tenir un registre, sur parchemin, de toutes les délivrances faites par eux au maître particulier, et ils devaient y annexer les certificats d'essais de l'essayeur.
Les gardes et l'essayeur devaient être payés de leurs gages par le maître particulier, sur ses bénéfices, ainsi que le contre-garde, dont les fonctions consistaient à surveiller et à contrôler les acquisitions de billon d'or et d'argent effectuées par le maître particulier.
Les fonctions du tailleur des fers se définissent d'elles-mêmes et n'ont pas besoin d'être précisées.
Tout ces officiers, en entrant en service, prêtaient serment de remplir fidèlement et loyalement les fonctions qui leur étaient dévolues, et de garder scrupuleusement le secret sur la nature des instructions qu'ils recevaient de la Chambre des monnaies.
L'ouvrage Les institutions de la France médiévale : IXe-XVe siècle / Romain Telliez, 2009, consacre aussi un paragraphe à la Chambre des monnaies :
Dès 1216 apparaissent des généraux-maîtres des monnaies (généralement les maîtres particuliers de la monnaie de Paris), chargés de contrôler la frappe de tous les ateliers du royaume. Le contentieux des monnaies relève néanmoins de la "curia regis", puis de la Chambre des comptes pendant le premier XIVe siècle, avec le concours éventuel des généraux-maîtres. Ces derniers sont installés en 1348 dans une pièce du palais située au-dessus de la Chambre des comptes, et constituent désormais la chambre ou Cour des monnaies, qui ne comptera jamais plus de quinze membres. Elle vérifie les comptes des maîtres particuliers, supervise toute l'administration des monnaies, juge le contentieux lié à leur frappe et à leur circulation. Elle n'est pas une cour souveraine puisqu'on peut appeler de ses sentences devant le Parlement.
Sur ce sujet vous pourriez aussi être intéressé·e par cet ouvrage ancien, datant du XVIIIème siècle, Dictionnaire universel de commerce : contenant tout ce qui concerne le commerce qui se fait dans les quatre parties du monde... Ouvrage posthume du Sieur Jacques Savary des Bruslons et par des articles plus récents :
- Cours, poids, titres : Voyage dans le vocabulaire monétaire, Christophe Vellet, Les essentiels, BNF
- Armogathe, Jean-Robert. « Un seul poids, une seule mesure. Le concept de mesure universelle », Dix-septième siècle, vol. 213, no. 4, 2001, pp. 631-640.
- Feugère, Michel, et al. “Balances Monétaires à Tare Fixe: Typologie, Métrologie, Interprétation.” Gallia, vol. 53, 1996, pp. 345–62. JSTOR, http://www.jstor.org/stable/43608563. Accessed 3 Mar. 2023.
- Piron Sylvain. Monnaie et majesté royale dans la France du XIVe siècle. In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 51ᵉ année, N. 2, 1996. pp. 325-354.
- Une balance monétaire de 1680, Daniel Bornemann, 11 | 2015, Varia 11
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