Qu'est-ce qui produit le "touk-touk" des trains ?
Question d'origine :
Bonjour,
Qu'est-ce qui est à l'origine du "touk-touk...touk-touk" iconique qu'on entend parfois dans les trains (et plus souvent dans les films avec des trains)?
Merci!
Réponse du Guichet
Sur un type de voie de moins en moins présent de nos jours, les rails sont attachés entre eux par des éclisses, sans soudure. Cela crée une discontinuité dans le profil de la voie et le passage des roues des trains sur toutes les discontinuités crée ce bruit si particulier.
Bonjour,
«touk-touk...touk-touk» ? Vous voulez dire «tchakatak, tchakatak, tchakatak…» ? C’est le souci inhérent aux onomatopées, on n’est pas toujours sûr de parler de la même chose ;-)
Mais nous pensons avoir compris de quel bruit vous voulez nous parlez : ce bruit très cadencé, très rythmé qui tape (sur les nerfs au bout d’un moment) et que l’on entendait bien notamment en passant dans les soufflets entre deux wagons dans les voitures de type assez ancien qu’on ne voit plus beaucoup sur les rails de nos jours.
Il nous semble que ce bruit est moins fréquent. Ce qui semblerait logique d'après l’explication ci-dessous.
Un train classique roule sur des rails (oublions les essais de trains à sustentation magnétique). Le contact se fait donc entre les roues de métal, groupées sur chariots appelés bogies, et le profilé de métal bien particulier appelé rail, lui aussi en métal.
Regardons de plus près le rail. Sur une voie telle celle que vous évoquez, celle des films, les rails sont d’une certaine longueur et joints entre eux par des éclisses. En France, avant l’apparition des LRS début des années 1960 (explication plus loin dans le texte, ménageons le suspense), les rails faisaient 36 mètres de long.
Ceci est précisé dans cette introduction de l’article Longs rails soudés - Efforts longitudinaux et interaction rail – structure issue de la base de données en ligne Techniques de l’Ingénieur.
Donc tous les 36 mètres, les roues passent sur un joint entre les rails. On pourrait penser benoîtement (c’était notre cas) que ce sont les petits interstices entre chaque rails qui en introduisant un «vide» font «taper» les roues sur les rails. C’est plus complexe.
Pour l’explication précise du phénomène, nous avons fait appel indirectement à un ingénieur de l’École centrale des Arts et Métiers : Roger Sonneville. Ce dernier a écrit un article très intéressant intitulé sobrement La voie, dans l’ouvrage Histoire des chemins de fer de France, paru en 1963 aux Presses modernes (chap. X, pp. 323-356).
Voici son explication :
Des générations d'écoliers l'ont appris : les joints permettent aux rails de se dilater et de se contracter, de «respirer » avec les variations de température. Ce sont les trous plus grands, dans les éclisses qui ont permis cette respiration.
On croit souvent que c'est la lacune séparant les extrémités des rails, et plus grande en hiver, qui provoque le choc que l'on ressent à chaque joint. En fait, ce choc résulte de la discontinuité dans l'inertie de la poutre constituée par les rails. Au joint, cette inertie est plus faible que dans la partie continue du rail, et l'affaissement y est plus important sous les charges. Ce n'est donc pas la lacune mais l'infléchissement de la trajectoire de chaque roue qui provoque le choc au joint. On a donc cherché, au cours de la longue histoire des joints, à atténuer l'affaiblissement de l'inertie de la poutre, en augmentant la rigidité des éclisses. Ce besoin se faisait d'ailleurs d'autant plus sentir que les rails étaient plus légers, et que la hauteur de l'âme disponible pour l'éclisse était plus faible.
On imagine bien ce choc répété par toutes les roues sur les joints faisant «touk-touk...touk-touk» ou «tchakatak, tchakatak, tchakatak», au choix.
Mais revenons sur ces fameux LRS ou longs rails soudés dont nous parlions plus haut.
Ce cher Roger Sonneville nous explique dans son article de 1963 que la SNCF commence à installer en France une «Voie moderne» suite à des études de son service Section de recherches de la voie.
Entre autres nouveautés, l’abandon des rails courts [36 mètres] au profit de très longs rails soudés et la généralisation des fixations «doublement élastiques» de ces longs rails soudés aux traverses.
Quelles sont les techniques mises en œuvre ? Quels sont les avantages et inconvénients des LRS ? La suite de l’article de Roger Sonneville étant un peu technique, nous allons nous reporter sur un article assez complet de Wikipédia sur les Longs Rails Soudés :
Les longs rails soudés ou LRS, appelés aussi « barres longues », constituent une méthode moderne de pose des voies ferrées qui présente l'intérêt de supprimer la plupart des joints de rails sur des longueurs importantes, souvent de plusieurs dizaines de kilomètres.
C'est la méthode de pose adoptée pour toutes les lignes à fort trafic, et notamment les lignes à grande vitesse, bien qu'elle devienne peu à peu la norme pour tous les réseaux de chemin de fer.
Les barres longues, d'une longueur de 144, 300 ou 400 m selon les pays, sont produites en atelier par la soudure de rails élémentaires de 18 m, 36 m, 72 m, 75 m, 80 m, 100 m ou 120 m. En France, la longueur des barres élémentaires est de 108 m réalisées par laminage. Quatre barres élémentaires sont soudées pour former une barre longue de 432 m.
Les LRS présentent deux principaux avantages, qui sont la conséquence de la suppression des joints éclissés :
• une réduction des coûts d'entretien de la voie ;
• une meilleure qualité de roulement et plus grand confort pour les voyageurs.
Les inconvénients, largement compensés par les avantages, sont :
• une technicité plus grande de leur mise en œuvre et de leur entretien, nécessitant un personnel bien formé ;
• un risque de déformation par flambement de la voie sous les contraintes de compression excessives lors de périodes de très fortes chaleurs (mais ce risque existe aussi en barres normales) ;
• cette compression sous températures élevées entraîne également des risques de déformations lors de travaux effectués sur les rails, le ballast ou les attaches durant la saison chaude. Pour cette raison, sauf à prendre des précautions particulières comme une limitation de la vitesse, on n'entreprend pas de travaux en été sur des voies en LRS ;
• un risque accru par rapport aux barres normales de rupture de rail lors des périodes de grand froid du fait de la tension régnant dans les barres ;
• une utilisation de quantités de ballast plus importantes afin de mieux ancrer les traverses.
Comme on peut le lire dans l’article ci-dessus (ligne mise en gras), un gros avantage est la meilleure qualité de roulement et le confort des passagers.
C’est pour cela que nous pensons que nous entendons désormais beaucoup moins ce bruit que vous nous décrivez. A part bien sûr, à petite vitesse quand les trains entrent en gare où leurs bogies retrouvent pas mal de discontinuités et de sinuosités dans les voies avec notamment le passage des aiguillages.
Il est surprenant par exemple d’avoir passé deux heures confortables à 300 km/h sur la ligne TGV Sud-Est (à part les brefs moments où l’on croise un autre TGV) et de se retrouver secoués à faible vitesse quand notre rame entre en gare de Lyon, à Paris.
Cordialement.