Comment savoir si je suis une personne bien ?
Question d'origine :
Comment savoir si je suis une personne bien ?
Réponse du Guichet
Votre question aborde l'épineuse question philosophique de la morale... s'il est difficile de donner un sens universel à l'idée d'être "quelqu'un de bien", car d'une culture, d'une époque, d'un individu à l'autre la détermination du bien-agir change, de nombreux philosophes axent tout de même l'action morale sur la liberté de choix et sur la responsabilité qui en découle - ainsi que sur le retour réflexif sur soi-même permettant de juger ses propres actes. A cet égard, le fait de vous poser la question est déjà un indice !
Bonjour,
Votre question est difficile car elle suppose une définition claire de ce qu'est "une personne bien"... définition qui peut évoluer selon les cultures, les époques, mais aussi les sensibilités. C'est donc à cette définition que nous vous invitons d'abord à vous intéresser.
Pour commencer, précisons que la discipline philosophique que touche votre question est la morale (du latin moralis, "relatif aux moeurs". Celle-ci a pour but de répondre à la question "comment bien agir ?" et de tenter d'en déterminer des universaux. Ce qui n'est pas une mince affaire, selon Philosophie magazine :
C’est là le problème central de la philosophie morale : trouver les fondements sur lesquels reposent les normes qui guident nos jugements moraux. Existe-t-il des devoirs inconditionnels, ou bien n’y a-t-il que des obligations relatives ? Si le relativisme moral pose des problèmes redoutables (Pascal disait : « Vérité en deçà des Pyrénées, fausseté au-delà », Pensées, 294) puisqu’il fait dépendre la valeur des choix moraux des temps et des lieux, l’universalisme moral n’a rien d’évident. En effet, pour qu’un jugement moral fasse l’unanimité, il faudrait soit qu’il puisse être formulé dans un langage universel – or il n’y a pas de mathématique morale (mais il y a des logiques déontiques) ; soit qu’il puisse être éprouvé par tous – or il est difficile de soutenir l’existence d’un sentiment moral unanimement partagé (c’est là l’une des critiques majeures de Kant contre Rousseau). D’où l’idée que certains dilemmes moraux sont insolubles. Est-ce à dire que nous sommes entrés dans l’ère du scepticisme moral ? Ce serait oublier que s’il existe une morale descriptive, la morale demeure une discipline pratique qui demande de choisir et d’agir…
S'il n'est pas de notre rôle de déterminer quelles valeurs fondent le bien et quels principes sont justes, nous pouvons toutefois approcher la morale en tant que "discipline pratique", notamment grâce à Etre quelqu'un de bien [Livre] : philosophie du bien et du mal, petit livre très bien fait dont nous vous conseillons vivement la lecture. L'auteure, la philosophe Laurence Devillairs, développe en effet une conception active de la morale : est "quelqu'un de bien" non pas quelqu'un pratiquant une bienveillance vague, avec une conception abstraite du bien et du mal. Il s'agit au contraire d'exprimer en acte sa conscience morale : "on ne peut se maintenir dans une forme de neutralité, d'abstention, de vote blanc éthique" car "être, c'est rendre des comptes, c'est peser la valeur de ses actes. Tout ne se vaut pas ; nous n'évoluons pas dans un champ indifférencié de possibles : il y a des manquements et des fidélités, des accomplissements et des démissions." A cet égard, le bien mis en action est une sorte d'héroïsme du quotidien, comme elle le résume sur les ondes de la radio RCF:
Faire le bien, c’est cela qui fait de moi quelqu’un de bien, non ? Exactement ! Faire le bien fait de moi quelqu’un de bien. Mes actes sont mes témoins de moralité ; c’est ce que je fais qui démontre ce que je suis. La bonté, comme la beauté, c’est avant tout celle du geste. La morale, c’est une question d’actes. Du plus modeste au plus sublime.Être quelqu’un sur qui on peut compter, ne pas décevoir, ne pas trahir, être quelqu’un de parole, tenir ses promesses, respecter ses engagements, la morale semble est tout une affaire de courage. Le courage d’être là, le courage de ne pas se dérober à ses devoirs et à ses fidélités, le courage de ne pas laisser faire, de ne pas laisser tomber.
La morale, ce serait donc avant tout une question de courage ?
Ce que réclame la moindre bonne action, le moindre geste, c’est, en effet, d’abord le courage de l’accomplir. Car la bonté n’est pas innée. Elle demande de braver des obstacles, de dépasser des réticences : les miennes, celles de mon confort ou de ma tranquille indifférence, celles des circonstances, qui me semblent toujours pesantes, toujours autant de bonnes excuses pour laisser faire. Être quelqu’un de bien coûte ; faire le bien n’est pas, avouons-le, un élan spontané, qu’on accomplirait sans effort, dans la joie et la bonne humeur. Le contraire du bien, ce n’est pas le mal, démoniaque, horrible et monstrueux, c’est la lâcheté.
Alors être quelqu’un de bien, c’est être un héros ?
Exactement ! Toute bonne action est héroïque, tout acte moral est un héroïsme. Parce que tout nous pousse à ne rien faire, à laisser tomber. Mais c’est un héroïsme ordinaire, pas celui des superman ou des super héros, ces modèles uniques, impossibles à imiter. Être quelqu’un de bien, ce n’est pas être un surhomme ; c’est être un homme, et c’est déjà beaucoup. Comme le disait Bergson, le héros nous prouve que c’est possible, que ce n’est pas au-dessus de nos forces : "Vienne l’appel du héros, déclare Bergson, nous ne le suivrons pas tous, mais tous nous sentirons que nous devrions le faire".
Même s'il y a en moi cette lenteur à choisir le bien, je ne dois pas en conclure à une nature mauvaise : je suis toujours pareillement capable du bien comme du mal, pas plus soumis au mal qu'abonné au bien. Ce que je fais, même par paresse, est toujours volontaire : je choisis de ne pas choisir le bien. Il n'y a pas de méchanceté foncière qui expliquerait et excuserait mes manquements.
Sommes-nous capables de devenir plus altruistes ? La réponse est oui.
Concrètement, les neurosciences permettent d’observer que les individus sont capables de développer leur compassion grâce à la plasticité du cerveau. On peut même distinguer ce qui motive un acte altruiste entre l’empathie et la gratitude, comme l’illustre cet article : quel altruiste êtes-vous ?
D’après certaines études la pratique de la méditation aiderait à développer sa compassion :
« Des experts de la méditation avec plus de 10 000 heures de pratique se sont prêtés à une analyse de leur activité cérébrale par des équipes de chercheurs en neurosciences. A la surprise générale, l’imagerie fonctionnelle a montré un changement fonctionnel et structurel des zones de la régulation et de concentration des émotions. Le centre de recherche a alors adopté un slogan : Changez votre cerveau, changez le monde ! »
Source : Sciences pour tous, Université Lyon 1
Peut-on être tenu responsable d’un acte que l’on n’a pas commis, mais auquel on a assisté, ou, au pire que l’on a laissé faire ? En somme, acteur ou spectateur, même responsabilité ? Engagement ou laisser-faire ?
Il s’agit de savoir si, par exemple, nous sommes responsables de ne pas supprimer un dictateur (par exemple, Hitler) dès lors que nous avons connaissance de ses méfaits ? Si nous pouvons porter la responsabilité d’un crime commis sous nos yeux ? A l’heure d’internet et de la multiplication des sources d’information, serions-nous tenus pour responsables de tout ce qui met en péril la planète et l’humanité ?
Nous ne pouvons faire ici le tour des questions de morale, d’éthique, de bien commun, d’impératif catégorique…
Hannah Arendt, évoquant les victimes du nazisme, faisait remarquer que le fond du problème n’était pas les souffrances, ni le nombre de victimes, mais que c’était la paradoxale « nature humaine » qui avait été menacée. Par ailleurs, toutes les cultures n’ont pas le même rapport à cette question de la responsabilité. Le philosophe Ruwen Ogien, dans son ouvrage L’éthique aujourd’hui , nous rappelle que la notion d’ « assistance à personne en danger » n’est pas universelle, et qu’elle ne fait pas partie de l’appareil juridique de tous les pays « développés ».
Nous vous recommandons de consulter des ouvrages comme le Dictionnaire de Philosophie de Christian Godin ou les différents tomes du Vocabulaire des philosophes. Les notions que nous avons évoquées plus haut sont expliquées de façon claire, et liées à la pensée des philosophes, resitués dans leur contexte historique :
A l’entrée « engagement » chez Sartre vous pourrez lire : « L’engagement est l’attitude de l’individu qui prend conscience de sa responsabilité totale face à sa situation historique et sociale et décide d’agir pour la modifier ou la dénoncer » et « L’engagement désigne à la fois une manière d’être et un devoir-être (…) Ainsi, notre responsabilité est beaucoup plus grande que nous pourrions le penser, car elle engage l’humanité entière ».
Sur la « responsabilité » chez Lévinas, par exemple, vous lirez : « La responsabilité est une responsabilité pour autrui, ce qui veut dire qu’il ne s’agit pas de répondre devant autrui des actes dont je suis l’auteur, mais de répondre devant l’autre des fautes et des souffrances de l’autre. Le moi est responsable des fautes qui n’ont pas commencé en lui, accusé au-delà de toute culpabilité. »
Pour réfléchir à ce genre de questions morales, nous vous invitons vivement à vous reporter au tout dernier livre de Ruwen Ogien, L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine qui propose de petits scénarios, parfois un peu loufoques, pour réfléchir à ce qui nous paraît moralement acceptable ou pas, à la responsabilité aussi. Voir par exemple l’histoire du témoin sur la voie de chemin de fer qui pourrait actionner l’aiguillage afin de dévier le train de sa trajectoire sur une voie secondaire, opération qui va épargner 5 cheminots mais en tuer un.
Un ouvrage, que nous venons de commander, vous aidera sans doute aussi, il s'agit de Psychologie du bien et du mal de Laurent Bègue.
La morale [Livre] / Yvan Elissalde,...
Une foule de naïvetés encroûte, aujourd'hui comme hier, la notion de morale, la rendant à peu près inintelligible. Désormais détachée de son antique ancrage religieux (du moins dans nos contrées), elle a pour réputation contradictoire de s'être perdue et de faire de la résistance, d'être universelle et historiquement ou culturellement déterminée, d'être une et multiple, obsolète et essentielle, collective et à usage personnel, absolue et relative, science (du bien et du mal) et croyance, voire simple sentiment. Et ainsi de suite. Objet de répugnance instinctive (ne risque-t-elle pas de porter tort à notre liberté et à nos plaisirs ?) ou encore de raillerie (de la part des esprits dits « désinhibés » ou « libres »), elle est pourtant une affaire assez sérieuse pour que les hommes se fassent la guerre (par la voie des mots plus encore que par celle des armes), alors qu'elle est censée condamner la violence.
Chacun paraît se prétendre expert et gardien en matière de moeurs, de valeurs, d'éducation. On ne saurait en rester là, sauf à sombrer dans le dogmatisme le plus désolant. Le présent ouvrage entreprend de rendre la notion de morale à sa clarté et à sa cohérence, en la passant - une nouvelle fois - à l'épreuve de la philosophie, c'est-à-dire, enfin, de l'interrogation sceptique.
https://catalogue.bm-lyon.fr/ark:/75584/pf0002134938.locale=Cet ouvrage propose un panorama des réflexions et des débats dans plusieurs disciplines autour de la question de la morale : son origine, sa nature, l'être humain et son besoin de principes, la morale dans l'économie, dans la politique et dans la société.
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