Comment une victime de traumatismes adopte-t-elle des comportements de prises de risques ?
Question d'origine :
La prise de risque suite à un traumatisme
Réponse du Guichet
Suite à des violences physiques, une victime peut développer des comportements addictifs au sexe, aux drogues et à l'alcool. Le système opioïde endogène est responsable de l’addiction aux drogues.
Bonjour,
Les violences physiques et sexuelles sont responsables de troubles psychiques ou comportementaux et se répercutent sur la santé physique des victimes.
Les conséquences des agressions sexuelles sur la santé psychique sont constantes, bien connues, et toujours présentes, laissant des séquelles durables, ayant des répercussions dans la vie de tous les jours (difficultés scolaires ou professionnelles) et gênant l’intégration sociale des victimes. Les manifestations sont protéiformes et souvent associées ; elles sont l’objet d’une littérature abondante [1-3], et sont listées dans le tableau 1.
Il est important de les rappeler ici car il n’y a pas de barrière étanche entre les dégâts psychologiques engendrés par les violences sexuelles et les désordres somatiques qu’elles entraînent. C’est une évidence que les troubles comportementaux retentissent sur la santé du corps, qu’il s’agisse des troubles du comportement alimentaire ou des comportements sexuels à risque ; il en est de même pour les addictions et, de façon immédiate, pour les automutilations et les conduites suicidaires.
Parmi ces troubles (anxieux, de la personnalité, du sommeil, du comportement alimentaire), les addictions ne sont pas en reste (alcoolisme, tabagisme, toxicomanie).
Source : Les conséquences des violences sexuelles sur la santé physique : revue de la littérature de Jean-Louis Thomas, membre de l'unité de recherche de l’association Stop aux Violences Sexuelles* qui a été fondée en 2013 par Violaine Guérin, médecin gynécologue et endocrinologue.
Dans son article de 2020, De la maltraitance infantile aux addictions de l’adulte, le site du magasine Psychologies explique :
Au croisement de ces addictions et de la maltraitance précoce se trouve un ensemble de peptides et leurs récepteurs : le système opioïde endogène. Ce système, on le sait, joue un rôle central dans les traumas comme dans les addictions. Comment agit-il ? En s’appuyant sur trois types des récepteurs des opiacés (les opiacés sont des dérivés des alcaloïdes de l’opium, tels que l’héroïne et morphine) : mu, delta et kappa. De l’activation des deux premiers résulte l’effet euphorisant des opiacés, quand l’activation du dernier entraîne des troubles de l’humeur. Globalement, ces récepteurs largement distribués dans le cerveau modulent aussi la réponse à la douleur.
Notons par ailleurs qu’au-delà du plaisir et de la douleur, ce système joue un rôle important dans la régulation du stress et des émotions, la mémoire, l’attachement d’un enfant à sa mère, et plus largement dans la modulation du bien-être et des interactions sociales.
Le système opioïde endogène est modifié par le stress
L’implication du système opioïde endogène s’exerce de plusieurs manières lors de la réponse au stress. On sait qu’un stress prolongé entraîne l’activation des récepteurs mu. A priori, des sujets exposés à un stress chronique pourraient de ce fait devenir dépendants aux opioïdes endogènes. D’autant plus que le stress provoque la libération d’opioïdes endogènes, notamment des endorphines, dans différentes aires cérébrales : en agissant sur les récepteurs mu, ces endorphines diminuent la sensation de douleur physique et atténuent la souffrance affective qui lui est associée. Cet effet est probablement protecteur lors de la phase initiale d’un traumatisme, lequel va modifie durablement le fonctionnement des récepteurs aux opiacés. On constate en outre que si les récepteurs mu sont artificiellement bloqués, des symptômes similaires à ceux d’un sevrage se manifestent.Face à un stress majeur, on réagit normalement par le célèbre fight-or-flight, « le combat ou la fuite ». Mais les nouveau-nés et les jeunes enfants n’en sont capables. Ils manifestent tout d’abord une réaction d’excitation, avec gesticulations, cris et pleurs, pour attirer l’attention d’un parent ou soignant. Si aucune réponse ne vient renforcer cette réaction, elle s’éteint et disparaît progressivement. Apparaît alors un comportement dit « de défaite », se traduisant par une séparation fonctionnelle entre des éléments psychiques qui sont habituellement réunis : une sidération dissociative comportant un émoussement émotionnel, une attitude de passivité et une baisse de la sensation de douleur.
Cette réaction dissociative correspond à un mécanisme d’adaptation et d’échappatoire au trauma. Elle est plus intense quand l’exposition au trauma est précoce et durable. Les opioïdes endogènes y jouent un rôle important, en intervenant dans l’immobilisation physique, le mutisme et le calme apparent. Du reste, une étude menée par imagerie cérébrale a révélé une diminution des récepteurs opioïdes kappa chez les traumatisés pour qui la dysphorie (état de malaise, d’inconfort émotionnel et mental), et l’anhédonie (perte d’intérêt et du plaisir à l'égard des activités quotidiennes, même celles qui étaient habituellement plaisantes) sont sévères.
Pour en savoir plus sur le système opioïde, lire Le système opioïde endogène et l’addiction aux drogues de Rafael Maldonadoa publié en 2010.
Mais lorsque certaines personnes consomment des drogues et de l'alcool, d'autres se tournent vers la suralimentation compulsive, les jeux de hasard ou l'addiction sexuelle. Conséquences des violences sexuelles dans l’enfance sur la sexualité adulte du site Amnésie traumatique, expose le modèle des 4 dynamiques traumagéniques de Finkelhor et Browne (1985) dans la partie L’impact traumatique des violences sexuelles :
1 - La sexualisation traumatique
2 - La trahison
3 - L’impuissance
4 - La stigmatisation (sentiments de honte et de culpabilité ressentis par la victime, sentiment d’être abimée ou indigne)
Plus loin sont abordés la sexualité et ses troubles : excitation sexuelle, désir, trouble de l'orgasme, vaginisme et dyspareunie, hypersexualisation et compulsion sexuelle, masturbation.
La compulsion sexuelle peut être liée au sentiment d’être obligé de donner son corps si l’autre le demande, même si on en éprouve aucun désir. Ce sentiment d’obligation peut notamment s’expliquer par le fait que la victime ait été soumise lors des violences sexuelles et qu’on ne lui ait pas appris à fixer des limites, à s’affirmer, à communiquer, à demander. Ce qui renvoie au manque d’assertivité mentionné plus tôt dans l’article. La compulsion sexuelle peut également se retrouver dans les relations sans attachement, répétées, avec de multiples partenaires, soit pour éviter toute intimité relationnelle, soit pour fuir ses émotions. Le sexe devient dès lors un moyen de lisser son angoisse, ou de se dissocier (au sens coupure émotionnelle) par rappel des violences subies et ainsi anesthésier toutes émotions ressenties. Pour favoriser la dissociation (soit car la violence rappelle l’agression, soit car elle génère du stress qui permet la dissociation) ou pour réussir à fonctionner sexuellement, la personne peut également s’engager dans des relations violentes. Le danger étant un risque d’exposition aux infections sexuellement transmissibles, grossesse non désirée, ainsi qu’à une revictimisation (la personne ne connaissant pas forcément ses partenaires, ou n’étant simplement pas en mesure d’évaluer correctement à qui se fier). On retrouve ainsi toute la problématique des conduites sexuelles à risque.
La compulsion sexuelle peut aller jusqu’à l’addiction sexuelle. La personne peut avoir une excitation sexuelle envahissante, des pensées et images intrusives de sexualité, un « besoin » irrépressible de passer à l’acte sexuellement. Pour résoudre ce besoin et cette excitation, la personne pourra alors avoir des relations sexuelles ou procéder à une masturbation qui deviendront compulsives puisque le soulagement n’est qu’à court terme et alimente finalement l’addiction. Il s’agit d’une véritable souffrance, où il n’y a pas de plaisir au bout de l’acte sexuel. Si nous sommes dans un versant addictif, le contrôle n’entre plus en jeu, le cerveau est dans une sorte de conditionnement (parcours de la récompense : sexualité = soulagement d’une tension, d’une angoisse) et il n’est donc pas si simple de mettre un terme à ce comportement.
Pour creuser le sujet, le document rédigé par Karila, L., Hermand, M., Coscas, S., & Benyamina, A., Addictions sexuelles, trouble hypersexualité, comportements sexuels compulsifs publié par Alcoologie Et Addictologie, 41, propose un état des lieux.
Dans son article cité plus haut, Jean-Louis Thomas ajoute que :
dans le cadre des conséquences psychiques des violences sexuelles, le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) mérite une mention spéciale. Il s’agit d’un trouble anxieux sévère et non spécifique qui survient en réaction à une situation traumatique qui menace ou altère l’intégrité physique ou psychologique de l’individu. Il traduit un débordement des capacités d’adaptation du sujet agressé. Le SSPT s’observe au cours des guerres, à la suite d’un attentat, d’un grave accident ; on a évalué qu’il était fréquent après une agression sexuelle, sa prévalence variant entre 30 et 80 % après un viol selon les séries [4-6].
Le SSPT se manifeste par des symptômes persistants qu’on classe en trois catégories :
– les symptômes intrusifs : le sujet revit en permanence l’agression sans pouvoir s’y opposer, ce qui se traduit par des flash-backs et des cauchemars générateurs d’angoisse, de colère et d’un sentiment de culpabilité ;
– les symptômes d’évitement : la victime tente d’éviter toute situation ou tout facteur déclenchant ou toute personne qui pourrait lui rappeler l’agression passée ; il évite d’en parler, ce qui retarde la prise en charge thérapeutique et les procédures judiciaires. Il en résulte une amnésie partielle ou totale, et un émoussement des émotions avec repli sur soi et isolement ;
– les symptômes d’hypervigilance : la peur de revivre l’événement traumatisant maintient la victime en alerte constante, ce qui l’empêche de se concentrer et de mener à bien ses activités, et entraîne irritabilité, insomnie et épuisement nerveux.Le SSPT survient après un délai variable et peut persister des années après l’événement déclenchant et est fréquemment accompagné au cours de son évolution par des manifestations somatiques.
Toutes les victimes de violences sexuelles ne développent pas de SSPT. Sa survenue dépend de la gravité et de la fréquence des violences sexuelles, mais aussi de facteurs individuels, psychologiques (capacité de résilience) ou sociaux (environnement familial) et peut-être génétiques.
L'Inserm donne des explications sur ces SSPT ou troubles du stress post-traumatique (TSPT), les personnes qui les développent et l'impact qu'ils peuvent avoir sur la vie.
Ces troubles psychiatriques surviennent chez des enfants ou des adultes qui ont été exposés à un événement marquant, comme une menace de mort imminente, de blessure grave ou d’atteinte de l’intégrité physique dont ils ont été victimes ou témoins. Les TSPT peuvent également survenir après l’annonce d’une mort violente ou inattendue, ou d’un évènement grave touchant un proche.
Aussi, les individus souffrant de TSPT peuvent être tout autant des personnes qui ont participé à des combats militaires, été victimes d’une agression physique ou sexuelle, d’une catastrophe naturelle, ou d’une prise d’otage, que des professionnels qui sont intervenus sur des terrains de catastrophes, des parents qui ont perdu un enfant ou encore des témoins d’un accident, d’un attentat ou d’une catastrophe naturelle. Toutes ont pour point commun d’avoir vécu cet évènement comme un facteur de stress intense ou d’effroi, face auxquels ils se sont sentis impuissants.
[...]
On parle de TSPT aigus lorsqu’ils persistent plus de 4 semaines. La plupart des personnes vont guérir de ces troubles dans les 3 mois suivant l’évènement, mais environ 20% vont développer une forme chronique du syndrome.
Il faut aussi noter que, s’ils apparaissent généralement immédiatement, au bout de quelques jours, les TSPT s’installent parfois plus progressivement, se constituant tardivement, après plusieurs semaines, mois ou années.
Un impact puissant sur la vie quotidienne et l’état de santé
Lorsqu’il n’est pas pris en charge, le stress post-traumatique se chronicise et s’associe à d’autres types de manifestations : l’individu se plaint de fatigue chronique et ne présente ni énergie, ni motivation pour mener les activités habituelles de sa vie quotidienne. Il développe souvent des troubles du comportement alimentaire (anorexie, boulimie…), une perturbation de sa vie affective et de sa libido.Les TSPT sont souvent associés à d’autres troubles de santé mentale comme la dépression ou l’anxiété. Il a des répercussions handicapantes sur la vie sociale, familiale et professionnelle. La souffrance est telle qu’elle accroît le risque de dépendance à des substances psychoactives ou le risque suicidaire.
Par ailleurs, le TSPT est associé à un état de stress chronique qui va retentir sur la santé somatique de l’individu : les personnes qui en souffrent ont un surrisque de migraine, d’hypertension artérielle, d’ulcère gastrique, de maladies dermatologiques…
Précisons aussi que "les personnes atteintes de trouble de stress post-traumatique ont également tendance à développer des comportements d’évitement pour fuir toutes les circonstances qui pourraient éveiller le souvenir du traumatisme. Ils peuvent refuser de penser à l’événement ou d’en parler, s’isolant parfois petit à petit du reste de la société, et même de leurs proches" (source : Stress post-traumatique : Nouvelles pistes pour comprendre la résilience au trauma | 13 FÉVR. 2020 |INSERM
Mais quels sont les mécanismes qui entretiennent les TSPT ?
Dans une des vidéos de l'article Troubles du stress post-traumatique, Francis eustache, chercheur en neuropsychologie et en imagerie cérébrale, spécialisé dans l'étude de la mémoire et de ses troubles, dit très clairement "l'état de stress post traumatique, c'est un dysfonctionnement de la mémoire".
Un dysfonctionnement du mécanisme préfrontal régulant l’activité provenant des régions associées aux souvenirs, comme l’hippocampe, et empêcherait leur suppression et oubli.
Il est rejoint par Pierre Gagnepain, chercheur en neurosciences et responsable scientifique du programme Remember, qui affirme que "le système qui permet de réguler les souvenirs intrusifs serait le même que celui qui permet de réguler les émotions" car "déréglés, ils [nos états affectifs] ont une influence néfaste sur nos comportements, notre attention, notre mémoire, ou encore notre capacité à évaluer une situation." (source : Cerveau: Derrière les motifs de l’émotivité, Inserm, avril 2020)
Pour aller plus loin sur cette question, lire l'article en anglais, Resilience after trauma: The role of memory suppression, Science, 14 février 2020.
La régulation de ce dysfonctionnement de la mémoire améliorera-t-elle la vie des personnes victimes de troubles du stress post-traumatique ? Si vous lisez l'anglais, l'article récent et pointu de Michael C. Anderson & Stan B. Floresco, Prefrontal-hippocampal interactions supporting the extinction of emotional memories: the retrieval stopping model, publié en 2002 dans Neuropsychopharmacol n°47, vous en dira plus.
Quoi qu'il en soit, en cas de traumatisme grave, il est fortement conseillé de ne pas s'isoler, d'être entouré de personnes bienveillantes et de se faire accompagner de thérapeutes adaptés selon la pathologie et la personnalité de la victime.
* Cette association a pour mission d'informer la population sur la réalité des violences sexuelles,de former des thérapeutes et des professionnels qui sont en contact avec d'éventuels victimes et / ou auteurs, de prévenir et de guérir.
Pour aller plus loin :
Le traumatisme psychique chez l'adulte, 2020
Violences sexuelles et addictions : quelles influences ?, bibliographie sélective centre de documentation CRIAVS Bourgogne, 2019
Psychopathologie des addictions / Jean-Louis Pedinielli, Georges Rouan, Pascale Bertagne, 2017
L'addiction à l'image pornographique / Patrick Baudry, 2016
Les sex-addicts / Vincent Estellon, 2020
Traiter les victimes de la maltraitance infantile : psychothérapie de l'existence interrompue / Marylene Cloitre, Lisa R. Cohen, Karestan C. Koenen, 2014
Revivre après une épreuve, sous la direction d'Héloïse Lhérété, 2021
Guérir par-delà les mots : comment le corps dissipe le traumatisme et restaure le bien-être de Peter Levine, 2020
Domptez votre cerveau ! : déjouez ses pièges et pacifiez vos pensées de Faith Harper, 2019
Victimologie : évaluation, traitement, résilience, 2018
Se relever après une épreuve de Claire Aubé, 2016 (témoignages)
Bonne journée.